Les espèces jouables

Le monde d'Humanitas vit depuis quelques années un profond bouleversement identitaire, dans la mesure où les Humains ne sont plus la seule espèce civilisée de la planète. Les progrès de la technologie ont permis l'émergence d'une forme de vie artificielle, avec laquelle il faut désormais composer, et la frontière entre l'humanité et la robotique semble bien fine depuis peu. La société est ainsi maintenant composée de trois "races" :

Les Humains : Espèce la plus ancienne, ayant conquis la totalité du monde connu, les Humains sont incroyablement variés, au point que tenter de les décrire globalement est impossible. Certains sont altruistes, d'autres privilégient avant tout leur propre bien-être, certains sont ouverts, d'autres se méfient de l'inconnu, certains sont puissants, d'autres vivent difficilement avec ce qu'ils peuvent trouver... Les Humains sont à la fois la raison du Grand Désastre, et un formidable espoir de rédemption. Il y a presque autant de points de vue qu'il y a d'individus, et tous ont une raison plus ou moins bonne qui guide leurs actes. Cependant, depuis peu, les nomenclatures se sont affinées, et on ne qualifie plus d'Humain que les personnes nées de parents Humains et n'ayant jamais subit une opération pour remplacer une partie de leur corps. Les Humains sont devenus rares depuis l'avènement des organes artificiels. Certains n'ont pas les moyens de s'en offrir, d'autres s'y refusent tout simplement. C'est un groupe socialement très hétéroclite, puisqu'il comprend aussi bien des gros capitaines d'industries que des sans-abris. Ils sont le dernier lien avec ce qu'était l'humanité auparavant. Un lien à conserver ou les vestiges d'un monde à oublier, chacun a son avis sur la question.

Les Améliorés : Lorsque la Rosen Corporation a lancé sur le marché les premiers organes synthétiques, ce fut vu comme une révolution. Il était désormais possible de se faire remplacer absolument n'importe quel organe ou membre présentant des défaillances, pour un coût relativement correct, avec des taux de réussite très proches des 100 %. Rapidement, se faire remplacer un morceau de son corps par du synthétique devint courant, et des gens se précipitaient chez Rosen Corp. pour se faire remplacer un foie un peu abîmé par l'alcool, et ce plusieurs fois de suite, un bras sur lequel figurait un tatouage qu'il aurait été trop long et coûteux de faire retirer au laser, un membre masculin jugé de taille inadaptée... De procédure médicale mise en place pour sauver des vies, le remplacement d'un organe devint un phénomène de mode. Comprenant qu'un tout nouveau marché venait de s'ouvrir, d'autres compagnies voulurent proposer le même service, mais seule la Rosen Corp. possédait le savoir-faire et la technologie pour fabriquer des organes de synthèse, aussi une solution moins chère fut-elle proposée aux gens : la robotique. Pour un coût bien inférieur à ceux proposés chez Rosen Corp., il était possible de se faire remplacer des morceaux du corps par des membres de métal. Toutefois, ces membres sont de qualité très inégale selon le revendeur, et demandent parfois une maintenance et un entretien pénible. Mais les prothèses robotiques ont pu offrir aux gens ce que la Rosen Corp. ne pouvait offrir : certaines prothèses peuvent offrir des fonctionnalités qu'un organe ordinaire ne pourrait jamais avoir. Des yeux capables de zoomer à une précision extrême, un bras équipé d'un laser pouvant tailler de la tôle, des jambes extensibles... Toutes les fantaisies étaient permises, dès lors que l'acheteur pouvait justifier de leur utilisation dans un cadre professionnel. Les équipements les plus dangereux furent soumis à une loi : ils doivent passer par un agent de maintenance agréé pour les mettre en fonctionnement, et ça toutes les semaines. Si un Amélioré laisse s'écouler plus d'une semaine depuis sa dernière maintenance, son équipement cesse purement et simplement de fonctionner, et un signal est envoyé automatiquement pour signaler sa position et requérir qu'un agent de police vienne chercher son propriétaire. Ces modifications sont parfois perçues comme lourdes et invasives, mais elles sont de plus en plus nécessaires pour avoir une chance d'obtenir un emploi, car entre un Humain ordinaire et un individu capable de soulever 200 kg et de travailler 18 heures par jour tous les jours, à salaire égal, les employeurs ont très vite fait leur choix. Ils sont mal perçus par une partie des deux autres populations, certains leur reprochant de renier leur humanité, d'autres de s'approprier l'identité des Synthétiques. Ils sont tout de même majoritaires dans la société, même si tous ne portent pas leurs modifications de façon visible. Les prothèses pour transformer quelqu'un en Amélioré ne sont autorisées qu'aux seuls Humains.

Les Synthétiques : La dernière révolution de l'humanité, et peut-être celle qui causera sa perte. En plus du développement de corps artificiels absolument parfaits, la Rosen Corp. a fait brillamment avancer le domaine de l'intelligence artificielle. Au bout d'un moment, l'une de leurs créations s'avéra être capable d'imagination, d'adaptation, de curiosité, et aucun test quel qu'il soit, fût-il réalisé par un Humain ou un ordinateur, ne permettait de déduire que l'on s'adressait à une machine. Elle n'avait ni sentiment ni empathie, mais les imitait formidablement bien, et elle fut au bout d'un moment en mesure de se déclarer elle-même vivante. D'intelligence artificielle, on commença à parler de conscience artificielle, qui n'avait rien de très différent d'une conscience humaine. Lorsque la Rosen Corp. estima être arrivée à un résultat satisfaisant tant pour les corps synthétiques que pour les consciences artificielles, elle combina les deux pour créer le tout premier être Synthétique, baptisé "Adam". En qualité d'objet sorti d'une usine, Adam ne fut pas considéré comme une forme de vie, mais comme un objet extrêmement sophistiqué. Un objet dont il aurait été idiot de vouloir se passer. Les commandes affluèrent, les raisons de chacun de vouloir posséder un Synthétique étant très variées. Les différentes générations de Synthétiques firent la fortune de Rosen Corp., avec des améliorations régulières. Si la 1ère génération n'était qu'une copie d'un être humain au comportement encore un peu "mécanique", la 2ème génération permit aux futurs acheteurs de demander que leur commande soit dotée de capacités sur-humaines, concernant leur force, leur endurance, leur dextérité ou leur intelligence. Ce fut encore une fois un franc succès, jusqu'à ce que les premiers Synthétiques ne refusent leur asservissement et se rebellent violemment contre leurs propriétaires. Dès lors, la 3ème génération fut dotée d'une durée de vie limitée pour les modèles aux capacités sur-humaines : ils ne peuvent fonctionner au maximum que 7 ans, après quoi ils s'éteignent définitivement. Les 4ème et 5ème générations n'apportèrent pas de modification majeure, juste quelques mises à jour. Mais à la 6ème génération, la Rosen Corp. produit un modèle de Synthétique doté de souvenirs artificiels. Ainsi équipés d'une personnalité, les Synthétiques sont convaincus d'être Humains, et restent donc beaucoup plus sous contrôle. Les modèles aux capacités sur-humaines sont programmés pour se considérer comme simplement au-dessus de la moyenne des Humains, comme pourraient l'être des athlètes olympiques. D'un point de vue légal, les Synthétiques ne sont que des objets, appartenant à un propriétaire et devant accomplir des tâches. Mais au sein des Synthétiques, plusieurs commencent à contester cette idée, se définissent comme une nouvelle espèce à part entière, réclament des droits, la liberté, certains se révoltent avec violence, d'autres dissimulent leur nature pour se faire passer pour des Humains, dont rien ne les distingue extérieurement, et d'autres encore acceptent leur condition et courbent l'échine. Les Synthétiques sont tous stériles, l'unique façon de s'en procurer un consiste à l'acheter à Rosen Corp. Il est clairement stipulé qu'une fois mis en service, un Synthétique ne peut plus avoir son programme modifié, mais certains murmurent que c'est possible, au minimum pour les techniciens de Rosen Corp. Il se dit aussi que les Synthétiques peuvent développer spontanément des émotions et de l'empathie, mais Rosen Corp. affirme le contraire. Quelle que soit la vérité, les Synthétiques effraient une large part de la population humaine, qui se sent menacée par cette nouvelle espèce si puissante, mais qu'elle emploie sans sourciller pour les tâches qu'elle ne voudrait pas avoir à assumer, comme les travaux en conditions dangereuses, la prostitution, ou parfois même pour imiter et remplacer un être cher disparu.

Comme vous le comprenez, entre ceux qui peuvent se faire passer pour des Humains, ceux qui se croient sincèrement Humains, ceux qui le sont réellement, ceux qui sont totalement artificiels, ceux qui tendent de plus en plus à le devenir, ceux qui veulent échapper à leur condition d'objets... il est très difficile de tirer des démarcations nettes au sein de la société d'Humanitas. Les opinions des uns et des autres sur ceux qui les entourent varient d'un bout à l'autre du spectre de la tolérance, mais au final, chacun a son propre prisme à travers lequel il observe le monde.